L’intégration de la ponctuation française dans la langue arabe | |||||||||||||
Alsun Beni-Suef International Journal of Linguistics Translation and Literature | |||||||||||||
Article 2, Volume 2, Issue 1, June 2022, Page 27-47 PDF (1.2 MB) | |||||||||||||
Document Type: Original Article | |||||||||||||
DOI: 10.21608/abjltl.2022.241767 | |||||||||||||
View on SCiNiTO | |||||||||||||
Author | |||||||||||||
Fatma Ashour | |||||||||||||
Abstract | |||||||||||||
This study focuses on the punctuation in Arabic Language. We dealt with a question unknown to most people and that is the way punctuation system was borrowed from French and introduced into the Arabic language. This borrowing occurred by the end of the 19th century. Arabic however did have a punctuation system previously known as the system of Waqf and ibtida’ as a means to help the reader’s understanding. This system, of which we find relics in the Holy Quran, disappeared with time. We then proceeded to the period of the borrowing undertaken by Aḥmad Zakî Basha. The first codification of the punctuation system in Arabic took place in 1912, and was initiated by Zakî Bacha. We observe the manner by which the first author of this reform applied the punctuation rules to his own texts, particularly in Ibn Zaydûn, published in 1914. This codification was later followed by another codification in 1931 initiated by the Education ministry. | |||||||||||||
Keywords | |||||||||||||
Punctuation; Codification; Borrowing | |||||||||||||
Full Text | |||||||||||||
Introduction Tout texte écrit se compose de deux types d’éléments : une chaîne d’unités graphiques associée à une seconde chaîne de signes de ponctuation. Les deux chaînes s’unissent pour former la structure complète de la phrase, puis du texte. La ponctuation a effectivement une valeur aussi signifiée que la production alphabétique. Cette importance pourrait être montrée à travers les définitions données à ce système de marquage. Dans un article s’intitulant « La Ponctuation » de l’Encyclopédie de Diderot parue en XVIIIe siècle, ce système est défini comme « l’art d’indiquer par des signes reçus la proportion des pauses que l’on doit faire en parlant » (cité par Drillon, 1991 : 88). Une évolution considérable s’effectue ensuite pour la ponctuation qui devient «l’ensemble des signes visuels d’organisation et de présentation accompagnant le texte écrit […], complétant ou suppléant l’information alphabétique» (Catach, 1980 : 24). La présente étude a tendance à aborder la ponctuation dans la langue arabe. Cet objectif vient du fait que l’actuel système de marquage n’est pas originel et qu’il est emprunté au français. Nous envisageons d’étudier ce transfert langagier, ses circonstances, ses raisons et sa standardisation dans la langue d’accueil. La première attestation des signes de la ponctuation française en arabe date de la fin du XIXe siècle. Certes, les scripteurs ont utilisé le système de marquage qu’ils avaient trouvé dans les langues européennes. Mais, est-ce que cela signifie que la langue arabe n'avait pas eu de système de marquage antérieur? Si non, pourquoi alors emprunter notamment aux langues européennes? En vérité, la langue arabe a eu un système de marquage propre à elle, et il a été dénommé : الوقف والابتداء [al-waqf wal-ibtidâ'] (littéralement : la pause et le démarrage). Cette ponctuation a compris des signes alphabétiques, non phonémiques, qui servaient à organiser les textes anciens ; mais, elle a décliné et disparu avec le temps, et nous trouvons seulement ses traces, jusqu'à nos jours, dans le Coran qui n'accepte pas ce néologisme langagier. Pour répondre à la deuxième question concernant la raison de l’emprunt à une langue européenne, nous observons que l'introduction de la ponctuation française dans l'écriture arabe a eu lieu au cours d'une vague de métamorphoses au monde arabe. À la suite de l'expédition française de 1798, l'Egypte a découvert la modernité et le progrès occidental, et elle a eu intérêt à se moderniser sur le modèle européen, et notamment français, dans de divers domaines. Ce pays arabe s'est ouvert sur l'Europe à travers des contacts directs établis entre les deux côtés, surtout au niveau de l’enseignement. Lors du règne de la dynastie de Mehmet Ali, des boursiers égyptiens ont été envoyés en France, et la langue française a été largement enseignée dans les écoles égyptiennes fondées par des missionnaires étrangers (Gérard, 1996 : 253-284.). Cette passion pour moderniser la vie égyptienne a conduit à une réforme réelle, une Nahda, dans tous les domaines de la vie, duquel la langue. Nous commençons l’analyse par l’étude de la ponctuation arabe déclinée avant de passer au nouveau système provenant du français. Notre travail aborde également les efforts que l’État égyptien a fait pour standardiser cet emprunt et mettre fin à l’anarchie langagière issue du déclin de la ponctuation arabe.
Contrairement à la ponctuation française qui date de l’invention de l’écriture alphabétique (Catach, 1994 : 11), le système de marquageالوقف والابتداء [al-waqf wal-ibtidâ'] (la pause et le démarrage) a apparu à la fin d’une longue évolution de la calligraphie arabe, évolution qui a concordé avec l'apparition de l'Islam à la Mecque en 610 (Al-Dali, 1996 : 50). Étant la langue du Coran et par laquelle les pratiques religieuses sont faites, la langue arabe a connu une expansion considérable au cours de la conquête islamique des pays. Des étrangers convertis se sont mis à apprendre l'arabe, et cela a mené à un développement, surtout pour le système écrit, afin que la langue devienne plus facile à maîtriser (Ibid. : 55). Avant l'Islam, l'écriture arabe était plus compliquée que ce qu'on trouve aujourd'hui : les mots ont été liés entre eux, les lettres semblables n'ont pas été distinguées par des points et il n'y a pas eu de signes de marquage. Pourtant, les Arabophones n'ont pas eu de difficulté à lire les textes, à les réciter et à les comprendre. Mais, pour les non-arabophones, la lecture des textes arabes de cette façon était difficile, et cela aurait risqué de causer des dérives dans la transmission coranique. La crainte de ces dérives a poussé à un développement du système écrit en ajoutant un certain nombre de points et de signes capables d’aider le lecteur à bien lire. Cette évolution est passée par trois étapes successives. - La première étape a été l'ajout des points fixant la prononciation des mots, autrement dit نقاط الشکل [niqâṭ aš-šakl]. Ces points ont été posés sur, sous ou à côté de la lettre finale du mot, et ils ont été faits par une encre de couleur distincte de celle de l'écriture. Cette réforme a eu lieu à l'ère du Khédive Mucâwiya bin Abi Sufiyân (661-680) et par le grand linguiste arabe Abu Al-Aswad Al-Du'ali (Al-Dali, 1996 : 56). Plus tard, à l'époque Abassi I (750-847), ces points deviennent des tirets en gardant le même fonctionnement. Cette modification a été faite par Al-Khalîl Al-Farahîdi (Ibid. : 62), et c’est dans le but de distinguer ces marques d'autres points surajoutés à la deuxième étape du développement. - La deuxième étape a été signalée par l'introduction des points distinguant entre les lettres semblables, en arabe نقاط الإعجام [niqâṭ al-icgâm]. Cette étape du développement s'est située à l'époque du Khédive Abd Al-Malik bin Marawân (685-705) et par les linguistes arabes Naṣr bin cAṣim Al-Laythi et Yaḫya bin Yacmur Al-cUdwâni (Gumca, 1984 : 50). - Pour la dernière étape d’évolution, les signes du marquage ont été inventés. Il s’agit des lettres et des abréviations déterminant les endroits de la pause pendant la lecture oralisée des textes écrits, et c'est afin que le lecteur puisse prendre son souffle et éviter l’introduction des erreurs au sens. À la suite de cette évolution, l'écriture arabe demeure fixe et aisée jusqu’à nos jours. Il est difficile de déterminer quand et par qui le système de marquage a été inventé et introduit dans la langue arabe, et c’est en raison de la rareté des références spécialisées dans ce domaine linguistique. Tout comme la ponctuation française, la fonction majeure du système de marquage arabe a été de déterminer les endroits de la pause au cours de la lecture, notamment celle qui se faisait à haute voix et en groupe, étant donné la rareté des personnes sachant lire et écrire. Ce système a été introduit dans le Coran, et nous trouvons que le plus grand lecteur du Coran Ibn Al-Jazri (1350-1432) s’est intéressé à ce système et l'a défini dans son ouvrage An-Nachr fi al-qira'ât al-cachr (la publication et les dix lectures) paru au XIVe siècle. « C’est la pause de la voix sur un mot pour une très brève période, afin de prendre le souffle, puis reprendre la lecture à partir du mot suivant ou du mot qui l'avance. » (2016 : 240) Les signes de ce système sont majoritairement pausaux et ils se différencient seulement selon les modalités de la pause : obligatoire, optionnelle ou interdite. Notons-en la lettre م [mîm] désignant une pause obligatoire et la lettre ج [gîm] correspondant à une pause optionnelle et la poursuite de la lecture ou la pause sont équivalentes. L'abréviation قلى [qilî] signale une pause optionnelle, mais la pause est plus recommandée que la poursuite de la lecture, contrairement à l'abréviation صلى [ṣilî] désignant une pause optionnelle, or la poursuite étant plus préférée que la pause. La lettre لا [la] désigne la pause interdite ; et le signe double [... ...] signale que la pause doit être sur un seul signe de ces deux (Chiḥata, 1999). Nous trouvons ces signes encore employés dans le Coran, et ils sont non phonémiques alors qu’ils sont, pour la plupart, alphabétiques. Ils s’écrivent isolés au-dessus de la ligne, seulement pour déterminer aux yeux du lecteur où il peut prendre une pause sans introduire des erreurs sémantiques. A côté de ces signes pausaux, les anciens auteurs ont inventé des abréviations pour organiser la structure sémantique de leurs textes. Ces abréviations ont été phonémiques, et ils ont joué des rôles très proches des signes du système français (Ḥalmuz, 1991 : 17-25). À titre d’exemple: - les expressions ما نصه [ma naṣuh] (littéralement) et انتهى [intaha] (fini) sont employées pour intégrer une citation dans le texte. La première se situe au début de la citation et la seconde, à la fin. En conséquence, ces mots ont le même rôle des guillemets de la ponctuation française ; - les expressions هلمّ جرّا [halomm garra] et إلى أخره [ila ‘aẖirih] (etc.) sont employées pour signaler un passage annulé du texte, comme le font les points de suspension du français ; - l’expression ما معناه [ma macnah] (c’est-à- dire) désigne l'explication ou la justification d'un terme, et c'est l’un des usages du deux-points du système français ; - le cercle [O] sépare les phrases ou les parties de phrases comme le point, la virgule ou le point-virgule du système français. Ce signe est ajouté encore à la fin des versets du Coran, cercle à l’intérieur duquel s’écrit le numéro du verset ; - et pour les phrases interrogatives, les scripteurs ont été obligés de les précéder par un outil d'interrogation pour que les lecteurs les reconnaissent et fassent l'intonation adéquate. La pratique de ce système a été optionnelle ; chaque scripteur a eu la liberté d'utiliser les signes de ce système ou d'inventer de nouveaux signes propres à son texte, et il expliquait leurs équivalents à la tête de son ouvrage. Cette grande liberté dans l'application du système de marquage a conduit à une anarchie dans le système écrit, notamment avec la multiplication des livres après l'imprimerie et l'expansion de la lecture individuelle.
Bien que l’ancien système de marquage ait un nombre de signes qui pourraient bien organiser l'écriture arabe et la lecture oralisée ou silencieuse, ce système a disparu avec le temps, et nous trouvons, avant l'emprunt du système français, des textes complètement écrits sans signes de marquage. Les raison de ce déclin ne sont pas précises. Ce qui est sûr, c'est que l'écriture arabe est devenue sans signes de marquage, surtout dans la période où l'imprimerie a été introduite dans le monde arabe, au XIXe siècle. Les phrases se sont suivies à l’intérieur des livres et journaux, ce qui a rendu la lecture une mission dure (Zaki, 1912 : 5). Peut-être le déclin remonte-t-il à la pratique optionnelle de ce système dans les ouvrages ordinaires, contrairement au Coran ; et la preuve en est que ce système a disparu de tous les textes arabes, alors qu’il reste utilisé, jusqu'à nos jours, dans les textes sacrés. L'absence du système arabe s’est aussi concordée avec l’accélération du mouvement de traduction et l'expansion de l'enseignement des langues européennes dans le monde arabe. À partir du XIXe siècle, des boursiers d'études ont été envoyées en Europe et des écoles françaises ont été établies en Egypte. Tous ces événements ont permis aux étudiants et aux intellectuels arabes de reconnaître, dans les langues étrangères apprises, un système de marquage susceptible de résoudre le défaut de leur langue mère (Ibid. : 11). Il s’agit de quelques signes graphiques simples séparant les phrases et les parties de phrases et cela mène à faciliter la lecture et à éclaircir le sens. Spontanément, ils ont commencé à introduire ce système dans leurs textes arabes. Néanmoins, cette tentative individuelle a augmenté le désordre dans la production écrite arabe : ils ont introduit la ponctuation des langues européennes dans une langue typologiquement différente, et de plus, il n'existe ni d’accord public, ni de norme claire (Zaki, 1912 : 6). À partir des années 90 du XIXe siècle, les signes de la ponctuation française sont introduits dans les articles des revues et des journaux égyptiens. En consultant des numéros, publiés à cette date, des revues Al-Manâr, Al-Ustâḏ, AlĞâmica et Al-Hilâl, oudes journaux Al-Ahrâm, Al-Waqâ’c al-maṣriyya et Al-Ǧarîda, les articles sont un peu organisés par des signes de la ponctuation française, contrairement aux numéros précédents où aucun signe de marquage n’est attesté. Précisément, les parenthèses, le tiret et le point ont été les premiers signes à être introduits dans ces articles ; et vers le début du XXe siècle, nous constatons que tous les autres signes ont été utilisés, mais leurs usages apparaissent douteux et confus. Les signes de la ponctuation sont parsemés dans ces journaux imprimés grâce à l’ajout de ce système à l’imprimerie de Bûlâq (imprimerie officielle d’Egypte jusqu’à nos jours). L’imprimerie de Bûlâq (ou Imprimerie Amîriyya) a été fondée au Caire, en 1821, par le fondateur de l’Égypte moderne Mehmet Ali (1769-1849). Elle a été la première imprimerie en Égypte après celle de Napoléon Bonaparte importée pendant l’Expédition française en 1798. La technique de cette imprimerie était difficile, elle comprenait 905 caractères mobiles représentant toutes les positions différentes des 28 lettres de l’alphabet arabe, et elle n’avait pas de caractères pour les signes de marquage. Une réforme de l’imprimerie s’est faite au cours la deuxième moitié du XIXe siècle, et par une équipe de cinq responsables du gouvernement égyptien, y compris le second secrétaire du Conseil des ministres Aḥmad Zakî (1867-1934). Après des années du travail sérieux, cette équipe a proposé de nouveaux caractères mobiles que le gouvernement a validés. La nouvelle imprimerie contient seulement 178 caractères mobiles : 132 caractères pour les lettres arabes, 9 pour les nombres, 24 pour les signes fixant la prononciation des mots (niqâṭ aš-šakl), et finalement, 13 caractères pour les signes de la ponctuation française (Haroun, 1993 : 45). Désormais, ces signes deviennent disponibles pour être introduits dans les textes arabes imprimés. À la suite de cette réforme, les responsables de l'enseignement en Egypte se sont mobilisés pour standardiser le système de marquage reconnu par tous les usagers de l’arabe. Immédiatement, Aḥmad Hichmat, ministre de l'Éducation et de l'Enseignement au début du XXe siècle, a commandé à Aḥmad Zaki de se charger de trouver un système de marquage adéquat à appliquer dans la langue arabe.
« L'arabe mourra, s'il n'évolue pas » a écrit l'intellectuel égyptien Ismacil Mazhar (1891-1962) (cité par Monteil, 1960 : 28). Poussés par cette crainte, les intellectuels arabes ont travaillé à faire évoluer la langue et à éviter la rigidité dont une des caractéristiques est l'absence du système de marquage. Étant donné que « toute langue est un être vivant qui évolue avec la société » (Ibid.), l'arabe a été modernisé et a emprunté aux langues européennes le système de marquage au XIXe siècle, ce siècle qui s'est caractérisé par la modernisation et l'occidentalisation dans beaucoup de secteurs de la société. Les usagers de l'arabe ont fait le premier pas vers cette évolution avant les savants de la langue. Ensuite, cette innovation a été étudiée et standardisée pour être bien intégrée dans la langue arabe. 3.1. Première standardisation Comme il a indiqué dans son ouvrage, Aḥmad Zaki s'est mis à étudier l'ancien système arabe الوقف والابتداء [al-waqf wal-ibtidâ'] (la pause et le démarrage) de la même manière qu'il a étudié les langues européennes et leur système de ponctuation. Selon lui, la ponctuation française pourrait être bien intégrée dans la langue arabe, et c’est parce que les deux systèmes du marquage, l'ancien de l'arabe et l'actuel du français, sont semblables et ne se différencient que dans très peu de détails, et l'arabe l'abandonnerait (Zaki, 1912 : xxx). A. Zaki a préféré standardiser cet emprunt en arabe et non pas inventer un nouveau système. Il a justifié ce choix en indiquant que les élèves aux écoles en Egypte étudiaient ce système pour les langues européennes et que ce serait plus aisé de l'étendre à la langue arabe. Aussi Zaki a-t-il présenté cette tentative dans un ouvrage rédigé en arabe et publié en 1912 par l'Imprimerie Nationale Amiriyya au Caire, et aucun ouvrage ne l’a précédé pour introduire un nouveau système de marquage dans la langue arabe. L’ouvrage se compose de 47 pages, en deux chapitres : le premier présente un panorama des étapes de l'ancien développement de l'écriture arabe, ce développement qui a été achevé par l'invention du système de marquage, et le second chapitre expose le déclin de ce système de marquage et l'insertion des signes de la ponctuation française dans la langue arabe. Ce dernier expose une explication détaillée des signes de la ponctuation empruntée et les règles qui devraient être suivies. A. Zaki a introduit dix signes de la ponctuation française en arabe, et il les a divisés en deux groupes à partir de leurs usages : les signes pausaux et les signes organisant le sémantique et l'intonation. 3.1.1. Les signes pausaux Ces signes se chargent de désigner au lecteur où il peut prendre son souffle sans introduire des erreurs de sens. Aḥmad Zaki introduit trois signes pour marquer la pause, et ces signes jouent le même rôle que les signes principaux du système antérieur. Pour ces signes, A. Zaki s'intéresse à expliquer la pause, ses degrés et ses usages. Il répartit les pauses que le lecteur pourrait faire en trois degrés, et il précise un seul signe pour chaque degré. Le lecteur peut faire une pause brève entre les segments liés sémantiquement et syntaxiquement : tels que les termes coordonnés et les propositions coordonnées, conditionnelles ou incidentes. La virgule [،] désigne ce degré de pause, et en arabe, ce signe a une forme différente de l’original : elle est inversée vers le haut. Le deuxième degré de pause est long. Cette pause se fait entre les phrases indépendantes, et c’est le point simple [.] qui la signale. Ce signe a aussi un second usage : il se place après les abréviations. Le troisième et dernier degré de pause est intermédiaire. Elle permet au lecteur de prendre son souffle entre les phrases et les parties de phrases liées seulement sémantiquement et non pas syntaxiquement. Ces segments peuvent être des propositions juxtaposées ; des termes coordonnés ayant une relation de comparaison, de similitude, de division, de description ; ou des propositions explicatives qui annoncent la raison de ce qui précède. Le point-virgule désigne ce type de pause, et Aḥmad Zaki change sa forme pour être inversé vers le haut, comme la virgule [؛]. Aussi A. Zaki indique-t-il que le scripteur devrait laisser une espace blanche entre les phrases comme signe séparateur. De plus, il invente un nouveau signe signalant la pause dans la prose, et ce signe est en forme d’une virgule soulignée par deux points [..،]. 3.1.2. Les signes organisant la sémantique et l'intonation Aḥmad Zaki affirme que ces signes sont aussi accompagnés d'une pause, mais ce n'est pas leur usage principal ; ils jouent un rôle important dans l’organisation sémantique et énonciative du texte. Il introduit sept signes qui sont les suivants : - Le point d'interrogation [?] distingue la phrase interrogative de la phrase indicative, et par ce signe, l’auteur peut négliger l'outil d'interrogation qui a été obligatoire au système de marquage antérieur. A. Zaki distingue entre l'interrogation directe et indirecte, et il note que le point d'interrogation est seulement employé pour l'interrogation directe. Ainsi, ce signe est transposé dans la langue arabe tel qu'il est en français [?]. - Le point d'exclamation [!] désigne les phrases qui expriment une émotion forte, comme : l'admiration, l'excuse, l'appel, la réprobation, l'étonnement, l'incitation, etc. - Les guillemets [« »] est un signe double qui sert à encadrer une citation dans un texte. - Le deux-points [:] annonce une explication, une citation, une synthèse ou un serment. - Les points de suspension […] indiquent qu'il y a une partie annulée du texte et la cause en est que cette partie n'est pas importante ou qu'elle est perdue. - Le tiret [-] peut être simple et permet d'indiquer le changement des locuteurs dans un dialogue, et ou double (- -) pour encadrer les phrase incidentes. - Les parenthèses [( )] permettent d'introduire au texte une explication ou une phrase incidente indépendante du contexte. A. Zaki n'introduit ni les crochets [[ ]], ni les barres obliques / /, ni même les parenthèses fleuries [{ }] que nous trouvons à la fin des versets, au lieu du cercle, dans certaines versions du Coran. Après avoir exposé les règles de la ponctuation empruntée dans la langue arabe, Ahmed Zaki aborde les effets prosodique, sémantique et syntaxique de ce système dans l'écriture et la lecture des textes. En concluant sa standardisation, A. Zaki note que la pratique de la ponctuation dépend nécessairement du goût de l’auteur et comment il veut présenter son texte. Aḥmad Zaki introduit la ponctuation française dans ses ouvrages, même avant la standardisation du système en arabe. Néanmoins, la pratique apparaît confuse et inadéquate (cAchour, 2014). Dans la présente étude, nous préférons exposer sa pratique de ponctuation dans Ibn Zaydûn, ouvrage parus deux ans après la codification du nouveau système de marquage. Ibn Zaydûn est un discours arabe qu’A. Zakî a prononcé au Club des employés d’État à Alexandrie, en 1914. Ensuite, il a publié ce discours dans une revue égyptienne intitulée Al- Bayân. Ce texte avait été antérieurement rédigé en français et publié dans la revue francophone Nouvelle parue à Alexandrie. Il avait voulu s’opposer à un autre article, publié dans cette dernière revue, parlant de la grande capacité langagière et littéraire du président français Raymond Poincaré (1860-1934). Poussé par son sentiment de jalousie nationale, A. Zakî a montré que les Arabes avaient, depuis très longtemps, des hommes de politique de très grande capacité littéraire. Il a choisi de parler du ministre et poète andalou Ibn Zaydûn (1003-1071). Il a exposé sa biographie et a présenté certains vers de ses poèmes dans des situations différentes.
(Page 8) (J’ai démontré à la revue française que ce qu’Ibn Zaydûn réalisait était bien plus important que ce que faisait Poincaré, particulièrement si nous observons les deux situations, nous constatons que celui qui a beaucoup d’enfants ; et que celui dont le cœur est brisé; a du mal à parler. Il ne peut plus même s’il est un orateur éloquent) Les signes organisant la sémantique de texte sont aussi introduits dans Inb Zaydûn. Dans le passage suivant, les parenthèses sont utilisées à ajouter une information secondaire à la phrase, les guillemets mettent en évidence les titres d’ouvrages, et le deux-points signale une explication à ce qui précède.
(J’ai choisi le troisième témoin de la Syrie : c’est l’écrivain Ṣalâḥ Al-Ṣafdî (celui qui a expliqué un autre essai d’Ibn Zaydûn) qui a écrit un gros livre sur l’histoire des personnages célèbres de son époque, et il l’a intitulé « Acyân al-caṣr wa acwân al-naṣr » en douze volumes : lorsqu’il a mentionné […]) De même, l’appel de note se fait dans l’ouvrage d’A. Zaki à l’aide des nombres cardinaux se posant entre parenthèses. Aussi le tiret est-il employé pour séparer les éléments de l’énumération, examinons l’exemple suivant :
(Le premier d’entre eux - c’est un livre de Handrik Anglinis, docteur ès théologie (1), de nationalité hollandaise. Il s’est satisfait de transmettre ce qu’avait écrit Al-Fatḥ bin Wirs d’Ibn Zaydûn. En ajoutant tant d’explications et d’éclaircissements, il l’a traduit en latin et l’a publié à Leyde en 1831 (j’en ai ramené un exemplaire) Le deuxième - c’est l’orientaliste Bistorn qui a édité le message d’Ibn Zaydûn […] (1) cet ouvrage a été traduit vers l’arabe par son disciple, l’orientaliste hollandais Dozi)
(Page 53) (En revenant à Wallâda nous nous demandons si Abû Al-Walîd oubliait Wallâda ? Non. Il se mettait à la flatter, […]) En outre, un nombre de phrases déclaratives sont terminées par un point d’interrogation, alors que des phrases interrogatives se terminent par un point simple, comme dans l’exemple suivant :
(Page 4) (J’espère voir beaucoup de gens partageant ma douleur ? […]) Il est évident que la pratique de la ponctuation française dans ce texte arabe est devenue plus précise par rapport aux textes qui ont précédé la standardisation. Mais encore, nous notons une hésitation à choisir le point ou la virgule pour séparer des propositions coordonnées ou conditionnelles. Cette même hésitation s’observe dans le choix des parenthèses ou des guillemets pour mettre en vedette le titre d’un ouvrage littéraire à l’intérieur du texte. Hésitation encore en ce qui concerne le choix du point d’interrogation ou du point simple pour signaler la fin d’une question rhétorique. Certes, nous ne devrions pas totalement négliger que l’application de ce système était récente et inconnue par tous les imprimeurs, et que certaines erreurs dans la ponctuation du texte pouvaient revenir à l’imprimerie. Mais enfin, l’auteur n’a pas protesté contre les erreurs des imprimeurs dans ses ouvrages comme l’avait fait la femme écrivain française Georges Sand contre l’intervention de ses imprimeurs en France au 19e siècle. En fait, l’introduction de la ponctuation française dans la langue arabe n’a pas été facile au début : l’application d’un même système de marquage dans deux langues d’origine totalement différente n’a pas été du tout une affaire simple. Même après la première standardisation de l’emprunt, l’application est restée incertaine et douteuse dans les textes de celui qui a effectué la standardisation. Pour contrecarrer la mauvaise pratique de la ponctuation française dans la langue arabe, le ministère égyptien de l’éduction et de l’enseignement a publié en 1931 une autre standardisation de cet emprunt. Les responsables de l’enseignement en Égypte ont essayé, encore une fois, de codifier l’organisation des textes arabes à travers l’emploi des signes de la ponctuation française, et c’est la dernière standardisation officielle en Égypte. 3.2. Seconde standardisation Le ministère égyptien de l'éducation a publié une autre standardisation des usages de la ponctuation française en arabe, mais cette fois-ci, il a été commandé par le roi d'Egypte Fouad I (1917-1922). Le roi a demandé, de plus, d’inventer des signes correspondant aux majuscules des langues étrangères, ce qui reflète le soif à emprunter tout ce qui était occidental à cette période de modernisation (Achour, 1932 : 3). Les responsables se sont chargés d’améliorer le système écrit de l’arabe, ils ont organisé des séances de discussion des savants de langue et des intellectuels pour obtenir les meilleures suggestions. Le 29 mars 1932, le ministre a pris une décision, de quatre séquences, annonçant deux nouvelles modifications avec une brochure explicative. La brochure a été rédigée par Abd Al-Qadir Achour, professeur à l'école Naṣiriya Amiriya, et elle a été éditée par l'Imprimerie Al-Misaḥa. Elle comprend 18 pages et présente l'explication de ces deux modifications. La première a été l'innovation des حروف التاج [ḥurûf at-tag] (littéralement, lettres de trône). Il s’agit de lettres ornées d'un trône au-dessus dont l'appellation et la forme visaient à vénérer le roi égyptien Fouad I. Les usages de ces lettres correspondaient à ceux des majuscules du français qui constituent l’un des signes de la ponctuation du mot au système français. Cette forme a été employée pour signaler l’initiale des noms propres, des titres et des phrases indépendantes. Aussi a-t-elle été employée pour l’initiale des termes qui suivent les signes de ponctuation suivants: le point simple, le point d'interrogation, le point d'exclamation, les deux points, et le tiret qui sépare le nombre des éléments d’énumération. Les « lettres de trône » se différenciaient selon les deux styles de la calligraphie arabe, « naskh » et « riqca », comme suit : - la forme des lettres de Tag dans l'écriture « naskh » :
- la forme des lettres de Tag à l'écriture de « reqca » :
Or, cette forme de lettres n’est plus employée, elle a été seulement liée à l'époque royale terminée par la révolution égyptienne de 1952. La deuxième modification est la standardisation de l'emploi de la ponctuation dans la langue arabe. À la préface de cette brochure, l’auteur a présenté l’histoire de la langue arabe après les conquêtes islamiques et l'emprunt de la ponctuation étrangère, mais il n’a pas cité les efforts d'Aḥmad Zaki commandé également par le ministère de l'éducation à standardiser cet emploi, ainsi qu’il n’a pas précisé que cette ponctuation avait été empruntée au français. Pourtant, en lisant les deux ouvrages, nous constatons plusieurs traits communs comme suit : - la brochure introduit les usages des mêmes dix signes qu'Aḥmad Zaki a introduits dans son livre ; - nous trouvons la même forme inversée de la virgule et du point-virgule de la standardisation d’A. Zaki dans cette brochure, et aussi le point d'interrogation garde encore sa forme française [?] et il n’est pas encore changé pour être plus adéquat à la direction de l'écriture arabe de droite à gauche (contrairement au français) ; - même les usages des signes de ponctuation restent très proches dans les deux travaux. Seulement dans la brochure, nous trouvons un usage supplémentaire pour le tiret unique [-] à séparer le nombre des éléments de l'énumération, et aussi, la brochure ne distingue pas l'interrogation directe, qui devrait se terminer par le point d'interrogation, de l'interrogation indirecte qui se considère une phrase indicative et qui se termine par un point simple ou une virgule ; - et pour déterminer les signes qui pourraient être posés au début de la phrase ou de la ligne, nous trouvons qu'A. Zaki a permis au tiret, aux points de suspension, au guillemet ou parenthèse ouvrant d'être au début de la phrase, mais selon la brochure, seul le guillemet ou parenthèse ouvrant qui peut être au début de la ligne. Pour conclure, nous ne trouvons pas de contradiction entre les deux ouvrages : la seconde standardisation confirme la première, et toutes les deux sont apparues sous la direction du ministère égyptien de l'éducation. La seconde standardisation mène à la généralisation de l'emploi de ces signes et à son enseignement dans les programmes scolaires. Après ce travail, aucune standardisation officielle n’est attestée, seules des tentatives privées des intellectuels et des écrivains afin de rappeler aux usagers les valeurs et les fonctions de la ponctuation. Conclusion Notre travail vise à étudier le système de marquage dans la langue arabe. Ce système n’est pas cet ensemble d’accessoires qui sert à décorer le texte écrit ; il s’agit de la construction du sens et de la lecture rythmique de ce texte. Il est évident que la ponctuation française constitue un système langagier originel, contrairement à celui de la langue arabe. La ponctuation française date tout au moins du début de l’écriture alphabétique ; et au cours des siècles, elle est passée par plusieurs étapes de développement pour arriver à la perfection actuelle. À l’inverse, la ponctuation arabe, précisément celle qu’on emploie à l’heure actuelle, n’est pas d’origine arabe, et qu’elle a été empruntée à la langue française à la fin du XIXe siècle. Ce fait paraît choquant pour beaucoup d’arabophones qui défendent leur langue parfaite, la langue sainte du Coran. En réalité, l’arabe a eu un système de marquage antérieur. Cet ancien système de marquage arabe constituait des signes alphabétiques, non phonémiques, remplissant les mêmes fonctions du système français. Mais, selon l’auteur de la première standardisation de l’emprunt, ce système a disparu à cause de la négligence et de l’indifférence des typographes arabes, et cela a conduit à l’introduction de la ponctuation française. Par ailleurs, l’imprimerie a bien influencé la ponctuation dans les deux langues, mais de manière différente : elle a servi, d’un côté, à augmenter les signes de la ponctuation française, déjà créée, ainsi qu’à codifier leurs usages. De l’autre côté, l’imprimerie a représenté le point de départ de l’emprunt de la ponctuation française par l’arabe. Vers la fin du XIXe siècle, et à partir de la réforme de l’Imprimerie de Bûlâq et de l’introduction des caractères mobiles signalant les signes de la ponctuation française à l’imprimerie, les articles des journaux égyptiens commencent à exhiber ces nouveaux signes, même avant la standardisation de leur emploi en 1912. En plus d’avoir apporté des remarques historiques sur l’évolution de la ponctuation en arabe et d’avoir analysé leurs fonctions, nous nous sommes intéressée à observer, de près, le contact des deux langues concrétisé dans la ponctuation. Nous avons poursuivi l’introduction des signes de la ponctuation française dans un texte écrit par Aḥmad Zaki. Il est vrai que la pratique s’est améliorée dans ce dernier ouvrage paru deux ans après la standardisation, mais cette amélioration nous a paru un peu faible. L’analyse du texte nous a prouvé que l’introduction de la ponctuation française n’était pas facile, et qu’elle prenait du temps pour être bien installée dans la langue arabe. Par ailleurs, ce néologisme langagier n’a pas soulevé d’objections réelles à cette période. Nous n’avons pas trouvé de forte réaction contre l’introduction de nouveaux signes, ni même contre les premières applications confuses et contredisant les règles sémantiques et syntaxiques de l’arabe. Les journaux de cette période ont noté bien l’effort d’Aḥmad Zakî à introduire les signes de la ponctuation française dans l’imprimerie de Bûlâq et ont applaudi sa contribution à trouver une solution pratique pour l’absence du système de marquage en arabe. Très timidement, à la fin d’un article intitulé « Ḥurûf al-maṭâbic al-carabiya » (Les lettres des imprimeries arabes) paru le 15 mars 1903 dans la revue Al-Hilâl, l’auteur (anonyme) a exposé le développement de l’Imprimerie de Bûlâq et l’introduction des signes de la ponctuation française en arabe ; puis, il a noté que l’arabe avait d’autres signes de marquage, et ces signes apparaissaient plus adéquats à appliquer. Ainsi, dans un autre article, également non signé, s’intitulant « cAlâmât al-istifhâm wa-at-tacağub wa-ġayruhumâ fî al-kitâba al-carabiya » (Les points d’interrogation et d’exclamation et les autres signes en écriture arabe) publié le 4 juin 1904 dans la revue Al-Manâr, l’auteur a critiqué l’introduction des signes de la ponctuation française, surtout les points d’interrogation et d’exclamation. Mais, les deux auteurs ont, enfin, accepté ce nouveau système et, de plus, ils l’ont introduit dans ces mêmes articles. Bibliographie
ZAKI, Aḥmad (1912) : Al-Tarqîm wa-calamtuh fi al-lugha al-arabiya (La ponctuation et ses signes dans la langue arabe), Le Caire, Imprimerie Nationale Amiriyya. | |||||||||||||
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